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La question ne se posa pas longtemps. Au courrier du matin, il y avait une lettre de Maître Lair-Dubreuil communiquant l’adresse de Marie Moreau, la dernière femme de chambre de l’impératrice Charlotte. Et le lendemain, Morosini prenait la route de Valenciennes. Le temps devenant printanier, il avait choisi de faire le chemin en voiture pour le plaisir de conduire, un plaisir plutôt rare quand on habitait Venise…

Mme Moreau logeait, au cœur de la vieille ville, près de l’église Saint-Nicolas dans une belle maison ancienne. C’était une femme encore jeune dont le visage régulier portait, sous les cheveux gris sévèrement tirés en chignon, les traces de vieilles douleurs. Elle reçut Morosini avec la courtoisie inhérente à ceux qui ont longtemps fait partie d’entourages royaux. Il s’était présenté à elle pour ce qu’il était, ajoutant qu’il cherchait à reconstituer, pour un client ami, la collection d’éventails ayant appartenu à la défunte souveraine du Mexique.

— Elle aimait à s’en servir et en possédait énormément, me suis-je laissé dire. Ce qui est normal pour une jeune femme ayant séjourné longuement à Milan, à Venise, à Trieste et au Mexique. En outre, elle aurait apprécié particulièrement ces charmants objets dont le maniement gracieux a fini par constituer une sorte de langage…

— Je pense que vous aurez du mal, prince, et que votre client ne devrait pas se limiter à la seule et malheureuse impératrice. Elle les assortissait souvent à ses toilettes – c’est ce que l’on m’a rapporté car je n’ai été à son service que sept ans – mais quand est venue la fin de ses tourments, il ne lui en restait que six…

— Qu’en avait-elle fait ?

— Elle en a donné, dont celui que je vous montrerai dans un instant – mais je refuse de le vendre. Cela doit rester bien entendu entre nous ?

— Je le déplore naturellement mais ce n’en sera pas moins, pour moi, un privilège ! fit Aldo cachant sa déception sous un sourire. Que sont devenus les autres ?

— Vous voulez parler de la collection ou des derniers ?

— Commençons par la collection. Nous finirons comme il se doit par les derniers !

— On lui en a volé dans les débuts de son mal où elle était autant dire captive des Autrichiens dans une dépendance du château de Miramar. D’autres ont disparu lors de l’incendie qui a détruit le château de Tervueren où la reine Marie-Henriette l’avait installée après l’avoir ramenée en Belgique. Elle en a elle-même brisé plusieurs au cours des terribles crises qui la retranchaient du monde.

— Elles étaient fréquentes, ces crises ?

— Davantage vers la fin, bien sûr ! Et parfois très pénibles. Elle devenait un animal furieux, griffant et mordant les téméraires qui l’approchaient. Et pourtant, dans ses périodes de rémission, c’était une dame charmante, s’intéressant aux arts et aux fleurs de son jardin. Toujours tirée à quatre épingles et soucieuse de son aspect. Vous devez savoir qu’elle est morte octogénaire, mais elle avait conservé une fraîcheur qui faisait notre admiration. Elle avait été très belle et le restait.

Il y avait une tendresse dans la voix de cette femme, qui, cependant, avait eu à pâtir des fameuses crises. La mince cicatrice qu’elle portait à la joue gauche en était sans doute la preuve mais il se garda de poser la question, se contentant de remarquer :

— Comme toutes les princesses belles et malheureuses, elle a maintenant ses dévots, presque sa légende. J’ai pu m’en rendre compte au château de Bouchout où j’étais récemment. Ce qui m’a permis de contempler, dans la maison du gardien, l’un des éventails que ces braves gens exposent comme un objet de piété. Est-ce l’un des derniers dont vous parliez, Madame ?

— Non, celui-là, Sa Majesté l’avait donné à Mme Labens peu après ma prise de service… Voulez-vous patienter deux minutes ?

Sans attendre la réponse, elle se leva – il en fit autant ainsi que le voulait la bienséance ! – et s’éclipsa. En revenant, elle tenait en main l’une de ces fameuses boîtes de cuir qu’elle posa sur une table. En sortit un bel éventail d’ivoire gravé d’or dont la feuille était de dentelle blanche légèrement jaunie par le temps.

— Il est joli, n’est-ce pas ? C’était l’un de ceux qu’elle préférait.

— En effet… et d’autant plus émouvant ! Ah, le coffret est semblable à celui de Mme Labens, ajouta-t-il en le prenant sans hésiter.

— Ils étaient tous semblables, quoique de tailles différentes.

Après l’avoir ouvert, Morosini le reposa presque aussitôt. Celui-là aussi était sans secret.

— Puis-je demander à présent ce que vous savez des derniers ?

— C’étaient les plus beaux. Ses sœurs et sa belle-sœur se les sont partagés. La princesse Clémentine Napoléon en a eu un, la princesse de Lonyai, ex-archiduchesse Stéphanie, un autre, un troisième a été envoyé à la fille de la princesse Louise décédée en 1924, un autre encore à Sa Majesté la reine Élisabeth et le dernier… Au fait, je ne me souviens pas à qui on l’a offert. On a dû en décider après mon départ.

— Une princesse de la famille d’Orléans peut-être ?

— Elles ne sont que cousines, et puis laquelle choisir ? Voilà ! Je ne peux pas vous en apprendre davantage. Vous voyez que votre parent devra renoncer à son projet et se contenter de ce qu’il a. Croyez que j’en suis désolée !

L’entretien se prolongea, à bâtons rompus, autour de l’incontournable tasse de café. Aldo rejoignit sa voiture et reprit la route de Paris, non sans avoir hésité à remonter plus au nord, mais il y renonça par découragement et c’était bien la première fois qu’il éprouvait cette sensation désagréable de donner des coups d’épée dans l’eau. Où chercher désormais ?

Il se voyait mal priant une souveraine régnante et trois princesses de le laisser fouiller leurs souvenirs de famille et, moins encore, en cas de succès, trouver un moyen de les délester. Et le temps s’écoulait, un jour après un autre jour… Les trois mois seraient vite usés.

La solution de facilité serait, sans chercher plus loin, de faire passer l’annonce dans la presse et d’aller au rendez-vous qu’on lui fixerait, les mains vides évidemment, mais suivi discrètement par les hommes de Langlois. Une folie ! Ce serait sous-estimer un ennemi qui, sans doute, y avait pensé avant lui, auquel cas, l’entrevue pourrait se transformer en catastrophe. Il risquait d’être tué ou, pis encore, capturé afin de l’obliger à assister au supplice d’un être cher, quel qu’il soit. Le souvenir du petit rire cruel n’était pas près de s’effacer…

C’est alors qu’une autre idée lui vint, tandis que s’étiraient interminablement devant lui les deux cents kilomètres séparant Valenciennes de Paris. Vauxbrun avait été piégé par une copie du collier sacré. Copie que le ravisseur lui-même estimait grossière mais il était peut-être possible d’en faire exécuter une capable de tromper un expert et même plusieurs. Pour cela il fallait retrouver l’artiste que Simon Aronov avait chargé de reproduire les gemmes manquant au Pectoral du Grand Prêtre (15). Aldo n’avait jamais su qui il était ni où il vivait mais en posant les bonnes questions aux bons endroits, il serait plus facile de découvrir sa retraite que de continuer cette course à l’éventail qui avait quatre-vingt-dix-neuf chances sur cent de ne mener à rien. Et d’abord interroger Adalbert, qui avait travaillé pour le boiteux bien avant leur rencontre…

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