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— N’en parlez plus, voulez-vous ? Notre séparation est irrévocable et, bientôt, ce sera pour nous une vieille histoire !

— Pour nous ? J’ose espérer que vous ne m’avez pas réservé un rôle dans ce drame ?

Elle éclata d’un rire perlé tout en lui tendant sa coupe vide pour qu’il la remplisse. Ce qu’il fit avec empressement, profitant de cette occasion inespérée pour se lever.

— Un drame ? Où en voyez-vous un ?

— La séparation de deux êtres qui se sont aimés en est toujours un. Je n’ai fait qu’entrevoir le baron Waldhaus mais il ne m’est pas apparu comme susceptible d’accepter vos décisions sans broncher ! Il va à coup sûr se défendre.

— Oh, tel que je le connais, il fera davantage. Il n’aime guère la contradiction et il lui arrive de se montrer violent ! Mais assez parlé de lui ! Occupons-nous plutôt de sujets plus intéressants pour nous ! Par exemple…

Pressentant ce qu’elle allait dire, il saisit la balle au bond :

— Votre éventail de plumes blanches ! Souvenez-vous que vous avez promis de me révéler le secret du C !

— Vous y tenez vraiment ? dit-elle en faisant la moue.

— Naturellement, j’y tiens ! Comprenez-moi, baronne ! Les joyaux sont mon métier, un métier qui me passionne. Surtout quand l’Histoire est présente.

— Et si je ne veux pas vous le dire ?

— Alors, j’essaierai de me débrouiller seul ! Notez qu’il m’est quand même venu une idée. Si l’on tient compte de la date de fabrication de l’éventail et du nombre relativement restreint des dynasties impériales, je ne vois qu’une princesse : l’impératrice du Mexique Charlotte de Belgique, votre compatriote !

Une vive déception se peignit sur le visage d’Agathe :

— Si vous le saviez, pourquoi êtes-vous venu ?

Il lui offrit un sourire moqueur :

— Mais pour avoir une confirmation, en parler avec vous… et passer un moment des plus agréables.

Banco ! Le charme opéra et Agathe Waldhaus retrouva sa belle humeur !

— Dans ce cas, parlons-en ! s’exclama-t-elle avec enjouement en réclamant une nouvelle ration de champagne. Vous avez absolument raison ! Il vient effectivement du château de Bouchout. L’impératrice en personne l’a donné à ma mère qui la plaignait et avait obtenu d’être sur la fin l’une de ses dames de compagnie. L’une des plus appréciées, soit dit en passant ! Sa Majesté raffolait du chocolat et, naturellement, elle en a eu plus que son content ! L’éventail a été donné à ma mère en remerciement et en témoignage d’amitié.

— Je comprends qu’elle y tienne et vous, baronne, vous ne devriez peut-être pas le risquer dans des soirées mondaines. À fortiori dans un casino où le monde se trouve parfois mélangé !

— Sans doute avez-vous raison mais, hier soir, je n’ai pas pu résister à l’envie de le prendre ! Il me va bien, n’est-ce pas ?

— Mieux que je ne saurais dire ! Accepteriez-vous de le manier de nouveau pour moi ce soir ?

Elle rosit de plaisir et sonna son valet :

— Ramon, dites à Josiane de m’apporter l’éventail de plumes blanches que j’avais hier !

Aldo ouvrait déjà la bouche pour réclamer également la boîte mais elle enchaîna aussitôt :

— Avec son écrin ! Il vaut, lui aussi, la peine d’être vu !

Le cœur d’Aldo battait à se rompre quand, quelques instants plus tard, une jeune femme de chambre pénétra dans le salon, portant l’un des fameux écrins de cuir bleu. L’un des plus grands, apparemment.

Agathe le prit sur ses genoux, l’ouvrit et en tira le bouquet de plumes d’autruche blanches qu’elle déploya pour en jouer avec coquetterie. Aldo en profita pour s’emparer de la boîte en disant :

— Ravissant ! Mais vous avez raison, baronne, de montrer le coffret ! Il est fort intéressant.

Ô combien ! Aldo n’eut pas besoin de l’examiner longtemps pour acquérir la certitude que les émeraudes devaient être là ! Le fond gainé de velours blanc était plus haut que ce qu’il avait vu jusqu’alors. Sans compter une nette différence de poids. En s’efforçant de maîtriser le tremblement de ses mains, il le reposa sur le guéridon pour sourire avec extase à la baronne Agathe qui s’était levée et voltigeait à travers la pièce en prenant des poses…

L’entrée de Ramon annonçant que Madame la baronne était servie figea la danseuse en plein vol.

— Passons à table ! dit-elle en prenant Aldo par le bras. J’espère que vous aimez les huîtres ? Moi, j’en suis folle !

— Nous serons toujours d’accord sur ce point ! D’autant plus qu’elles manquent fâcheusement à Venise !

— Oh, Venise n’en a pas besoin ! Elle possède tellement de moyens d’inciter à l’amour.

— Ah, parce que les huîtres ?…

— Évidemment ! Vous ne le saviez pas ?

— Mon Dieu, non ! Mes notions en matière d’aphrodisiaques sont élémentaires et ne vont guère plus loin que les truffes, certains poivres, certains champignons et bien entendu la mythique cantharide.

— Pourquoi mythique ? Elle est on ne peut plus réelle… et très efficace. À ce que l’on m’a assuré tout au moins, ajouta-t-elle en baissant les yeux et en réussissant un « fard » dont son invité ne fut pas dupe.

Il le fut moins encore en voyant arriver le deuxième plat – une omelette aux truffes ! –, le troisième – un salmis de faisan aux piments d’Espelette… et aux truffes ! Une véritable hérésie culinaire ! Le quatrième, une salade dans laquelle une main négligente avait laissé tomber de fines tranches du savoureux tubercule. Il s’attendait à en trouver dans la mousse au chocolat couronnée d’une crème Chantilly neigeuse – avec, pourquoi pas, une pincée de poudre provenant de la dangereuse mouche évoquée précédemment – que Ramon apportait avec l’onction d’un lama tibétain soutenant le Livre sacré. Et s’apprêtait à se priver de dessert quand une voix furieuse fit trembler les vitres et provoqua chez le valet une telle commotion qu’il poussa un cri, tandis que le compotier lui échappait et allait se répandre sur le sol.

— Quel charmant spectacle ! Mais pas vraiment inattendu : ma femme à moitié nue en partie fine avec son amant ! Vous ne m’attendiez pas, n’est-il pas vrai ?

L’œil furibond, la moustache en bataille et le chapeau enfoncé jusqu’aux sourcils, en tous points conforme à l’image qu’en gardait Aldo depuis la gare de Vienne, le baron Waldhaus effectuait une entrée d’autant plus fracassante qu’il brandissait une canne avec l’évidente intention de s’en servir. Cependant, Agathe ne parut pas autrement émue. En colère, oui ! Se levant brusquement, elle jeta sa serviette sur la table et protesta :

— En vérité, Eberhardt, vous êtes impossible ! Vous n’êtes pas chez vous ici et vous le savez. Alors qu’est-ce qu’il vous prend d’y jouer les cyclones ?

— Vous êtes toujours ma femme, Agathe, et partout où vous vous trouvez, je suis aussi chez moi !

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